ENTRETIEN EXCLUSIF - Après les émeutes, «le pronostic vital du pays est engagé», affirme l’ancien directeur général de la DGSE au Figaro Magazine.
ENTRETIEN EXCLUSIF - Après les émeutes, «le pronostic vital du pays est engagé», affirme l’ancien directeur général de la DGSE au Figaro Magazine.
Pierre Brochand a été directeur général de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) de 2002 à 2008, ainsi qu’ambassadeur de France, notamment en Hongrie et en Israël. Sa parole est extrêmement rare dans les médias. En exclusivité pour Le Figaro Magazine, il livre son regard sur les émeutes, un moment charnière de notre histoire.
Selon lui, nous vivons la révolte contre l’État national français d’une partie significative de la jeunesse d’origine extra-européenne présente sur son territoire. Cette explosion est le résultat de décennies d’aveuglement et de propagande envers une immigration de peuplement dont on n’a jamais mesuré les conséquences. Il analyse le cocktail fatal que devait constituer la rencontre entre une société des individus fondée sur l’ouverture et la démocratie et l’arrivée de diasporas entières au bagage culturel totalement différent. Est-il trop tard?
Auteur d’une intervention remarquée à l’Amicale gaulliste du Sénat, l’ancien directeur de la DGSE - qui est intervenu lors d’un colloque de la Fondation Res Publica sur le thème: «Pour une véritable politique de l’immigration» - invite à ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé et livre ses pistes pour sortir de cette crise inédite dans l’histoire de la France.
LE FIGARO MAGAZINE. - Dans votre intervention au Sénat en novembre 2022, vous évoquiez plusieurs scénarios provoqués par l’immigration incontrôlée qui sévit dans notre pays depuis des années: interdiction, absorption, négociation, séparation, affrontement. Les émeutes qui se sont produites pendant cinq jours montrent-elles selon vous que c’est le scénario de l’affrontement qui domine?
Pierre BROCHAND. - Au vu de ce qui s’est passé ces jours derniers, j’aurais du mal à vous contredire. Je voudrais aussi indiquer d’entrée de jeu que je n’ai pas l’habitude de commenter l’actualité à chaud, source d’erreurs ou d’à-peu-près. Mais quand les circonstances imposent à l’esprit un événement charnière de cette envergure, il est difficile de résister à la tentation.
Pour en revenir à «l’affrontement», il survient inéluctablement lorsque tout le reste est abandonné, inopérant, dépassé. Car, vous l’avez rappelé, quand un groupe humain cherche à s’installer chez un autre, il n’y a que cinq possibilités. Reprenons-les brièvement, afin de remonter la chaîne des causes qui conduit à nos malheurs d’aujourd’hui.
«L’interdiction», à savoir la fermeture des frontières au nom du principe de précaution (la voie polonaise), n’a jamais été sérieusement envisagée chez nous, les frères jumeaux de l’humanisme et de l’économisme se donnant la main pour y veiller.
De même, l’«assimilation» a été rapidement abandonnée, sans tambour ni trompette, par renoncement à nous-mêmes, mais aussi nécessité, face à des flux trop massifs pour qu’elle puisse fonctionner.
D’où l’enthousiasme pour «l’intégration», sorte de compromis miracle, d’inspiration anglo-saxonne, où chacun fait un pas vers l’autre, tout en gardant son quant-à-soi. Force est de reconnaître que cette démarche n’a que médiocrement réussi en France. D’une part, et à l’inverse de l’assimilation, le contrat minimal qui la sous-tend - «respect des lois» contre «emploi» - fait peser l’essentiel de l’effort sur le pays d’accueil, en matière de débours financiers comme d’entorses à ses principes (mérite et laïcité). D’autre part, l’accès au travail ne peut être que limité, pour des immigrants à très faible qualification et qui, parfois, s’auto-excluent du marché pour des raisons qui leur sont propres. De sorte que les «intégrés», certes plus nombreux que les «assimilés», ne sont pas pour autant majoritaires.
La «séparation» n’est que le résultat de ce bilan insatisfaisant. Ce qui n’est guère surprenant, puisque la partition est la pente naturelle de toute société «multi», où chacun vote avec ses pieds et se recroqueville auprès des siens. Je ne connais pas d’exception à cette règle d’airain, en particulier quand les appartenances relèvent de civilisations différentes. Règle qui se borne, d’ailleurs, à acter l’effondrement de la confiance sociale, proportionnel à la «diversité» ambiante.
C’est ainsi que se constituent les «diasporas», noyaux durs, ni assimilés, ni intégrés, à tendance non coopérative, véritables poches du tiers-monde, où se développe une double dynamique de dissidence, sans corde de rappel. D’un côté, la pression sociale que génèrent ces entités, en faveur des mœurs, croyances et modes de vie d’origine, les écarte de plus en plus de ceux du pays d’accueil: d’où un phénomène de divergence générationnelle, jamais vu auparavant, mais que les troubles actuels valident sans discussion. D’un autre côté, ces enclaves ne cessent de s’auto-engendrer, en «boule de neige», grâce à un taux d’accroissement naturel élevé et un engrenage d’aspiration juridique par le biais, entre autres, du regroupement familial.