Par Maria Udrescu (Bruxelles, correspondance), le 14 août 2024

La Commission européenne ne veut surtout pas être accusée de se mêler de la très tendue campagne présidentielle américaine. L’institution s’est distanciée, mardi 13 août, du rappel à l’ordre adressé par Thierry Breton, commissaire chargé du marche intérieur et du numérique, à X, pile avant la diffusion d’un entretien entre le propriétaire du réseau social, Elon Musk, et le candidat républicain, Donald Trump.

« Le timing et la formulation de la lettre n’ont été ni coordonnés ni convenus avec la présidente [Ursula von der Leyen] ou le Collège » des commissaires, a déclaré Arianna Podesta, porte-parole de l’exécutif européen. La précision n’est pas anodine et sonne comme un désaveu du moment choisi par M. Breton pour hausser le ton, alors que Bruxelles retient son souffle en vue du scrutin américain.

Lundi, le Français a alerté le patron de X sur son devoir de respecter les règles européennes en matière de modération des contenus, dressées dans le règlement sur les services numériques (connu sous l’acronyme anglais DSA, pour Digital Services Act). Avec l’entrée en vigueur de cette législation, en octobre 2022, l’Union européenne (UE) est devenue pionnière en matière d’encadrement des réseaux sociaux et des risques systémiques qu’ils posent pour la société, leur imposant notamment de prévenir « l’amplification de contenus dangereux » , comme l’a souligné le Français dans sa lettre, qui pointe également la flambée de violences au Royaume-Uni. Cette obligation vaut pour toute publication accessible aux citoyens européens, y compris pour « les diffusions en live » . Elle s’impose aussi à « vous, en tant qu’utilisateur avec 190 millions de followers » , a rappelé le commissaire à Elon Musk, qui partage, à l’occasion, de fausses informations, y compris sur l’élection américaine.

Défenseur autoproclamé de la liberté (totale) d’expression, le milliardaire est engagé dans un bras de fer avec l’UE, qu’il accuse de vouloir le forcer à « censurer la parole » . En décembre 2023, la Commission avait lancé une enquête officielle au sujet de X, portant sur la dissémination de contenus illégaux et l’efficacité des mesures prises (ou pas) par l’entreprise pour lutter contre la manipulation de l’information. Les conclusions sont attendues dans les prochaines semaines.

En vertu du DSA, la Commission peut infliger des amendes pouvant atteindre 6 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise concernée. En l’occurrence, elle pourrait même décider de baser son calcul sur les revenus de l’ensemble des firmes détenues par Elon Musk, au vu de son influence décisive sur le fonctionnement de X. De plus, en cas de violations graves et répétées, la plateforme mise en cause peut être interdite d’opérer dans l’UE.

Malaise

Thierry Breton n’a pas hésité à indiquer que la Commission se penche, pour son enquête, sur tout contenu pouvant « inciter à la violence, à la haine ou au racisme » , dans le cadre de « débats et d’interviews électoraux ». Une référence évidente à la conversation prévue entre Elon Musk et Donald Trump, qui a été diffusée par la suite pendant deux heures sur X, et fut ponctuée de fausses informations.

Mardi, la Commission a à son tour insisté sur l’obligation de X de se plier à la législation européenne. Elle a cependant refusé de commenter cet événement en particulier. « Le DSA fournit un cadre général dans lequel les très grandes plateformes doivent opérer, et cela va bien au-delà des cas spécifiques », a précisé Arianna Podesta. Et d’ajouter que la « lettre[de Thierry Breton] ne voulait en aucun cas interférer avec les élections américaines. L’UE n’interfère pas dans des élections » .

Chargé de faire appliquer le DSA, M. Breton n’était pas tenu de faire approuver son message par Ursula von der Leyen ou les autres commissaires. « L’acte en question était une lettre politique rappelant à la plateforme ses obligations » , a précisé son cabinet, insistant sur le caractère de « test » conféré par M. Musk à cet entretien à grande audience, ce qui justifiait un rappel des règles. Mais le malaise au sein de la Commission est palpable. D’ailleurs, l’exécutif européen n’a pas défendu Thierry Breton face à l’insulte d’Elon Musk, qui a invité le commissaire à « aller se faire mettre »(« Fuck your own face »). Cette réaction illustre pourtant le défi que va continuer à poser le milliardaire à l’UE, dans ses efforts pour contenir les dangers des réseaux sociaux.

Ce n’est pas la première fois que le Français, avec son style franc-tireur, irrite Ursula von der Leyen. Et cet épisode risque de ne pas être le dernier, alors que l’Allemande a obtenu un nouveau mandat à la tête de la Commission et que Thierry Breton a été reconduit par le président français Emmanuel Macron comme commissaire.

  • Miaou@jlai.lu
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    3 months ago

    La France est probablement le seul, mais l’Allemagne semble s’accrocher à cette pseudo neutralité écœurante avec une ardeur inégalée. Tu comprends, si on froisse Trump et qu’il est réélu, il risque de dire du mal de Mercedes et BMW.

    À noter que Ramstein existe encore, rendant le gouvernement allemand directement complice de crimes de guerre américain au Moyen-Orient. Mais bon, ils ramènent beaucoup d’argent à l’économie locale, ces militaires… Probablement la preuve la plus accablante que les “pacifistes” sont à la botte de Poutine, parce que bizarrement ils ont jamais commis d’attentat là bas, alors que pour l’Ukraine ça se lâche. Mais je m’égare :)

    • Camus [il/lui]@lemmy.caOP
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      3 months ago

      Étonnant, je n’ai plus eu l’impression que la France tenait tête aux États-Unis depuis le discours de De Villepin à l’ONU il y a 20 ans, tu aurais des exemples récents ?

      Rammstein

      J’ai cru que tu parlais du groupe de métal au début 😄